Konya

« Quelle heure il est ? J’ai pas entendu le muezzin ? – Normal, c’est juste 6h20. » Tellement peur de me faire réveiller en sursaut que mon cerveau à anticiper : pas folle la bête. Du coup, on est levé tôt et une grande journée de visite de Konya s’annonce pour nous. Lola reste bien au chaud sous le plaid dans le camion : les chiens ne sont pas trop les bienvenues, beaucoup de gens en ont peur donc on ne va pas forcer les choses. Dehors, l’hiver est bien arrivé et nous partons bonnet et gants chaussés, c’est tout gelé partout et le ciel est d’un blanc glacial. « Arf ! On a clairement pas les chaussures adaptées au froid » nos gros orteils sont frigorifiés, il faut vite se mettre en mouvement.

Histoire de bien se mettre dans le bain, nous avons écouté hier soir et ce matin des podcasts de France Culture sur la doctrine soufi de Rumi pour mieux comprendre les derviches tourneurs et l’histoire de Konya.

On commence donc notre découverte de la ville par le Musée Mevlana dans lequel se trouve la tombe de Djalal Ad-din Rumi, le poête et grand penseur ayant apporté le soufisme en Turquie. Il était porteur d’un message de paix, d’amour et de spiritualité, liant religion, éducation, savoir et sciences au sien de sa communauté. C’est un personnage incontournable quand on visite Konya. Dans le musée, nous passons dans des petites alcôves où sont exposées différents accessoires et tenues traditionnelles d’époque puis nous enfilons des sur-chaussures « comme quand on devait rentrer dans un avion neuf au taf’ ». L’édifice est saisissant par la beauté des dorures et des calligraphies peintes sur les murs. Plusieurs mausolées de maîtres soufis sont exposés mais le plus impressionnant est sans nul doute celui de Rumi, surnommé Mevlana (« notre maître »). Une douce musique de flûte « le ney » est diffusée en fond sonore donnant une aura très particulière au lieu. Pour l’occasion, bien entendu, je me suis mis une écharpe sur la tête pour cacher mes cheveux « c’est toute une technique pour faire tenir le tissu… ». Nous continuons notre découverte par la visite de la Mosquée Selimiye. N’étant jamais rentré dans un de ces lieux de culte, nous suivons les panneaux : les femmes d’un côté, les hommes de l’autre. « On y va chacun son tour alors. » Dans la zone réservée aux femmes, on aperçoit très peu du bâtiment car ça donne sur les côtés « Oui, chez les hommes on voit bien la coupole au centre. » On verra sur les prochaines.

Nous continuons en passant par le « bazaar » : des ruelles de commerces en tout genre vendant vêtements, épices, café, graines, thé, tissus, couettes, foulards et j’en passe. Comme la ville n’est pas très touristique, les commerçants ne sont pas insistants et on fait notre petit bonhomme de chemin tranquillement. Nous arrivons devant une autre mosquée. Cette fois-ci, pas de panneaux. « Vas-y, je vais demander à quelqu’un si on peut rentrer ensemble. » Un homme me fait signe que oui pas de soucis « together ». J’enfile donc mon foulard sur la tête et entrons à l’intérieur de la Mosquée Kapu. Le plus frappant au premier abord est la moquette : avec nos petits doigts de pied gelés, on trouve le contact des chaussettes hyper agréable. Le bleu turquoise au sol est vif et s’allie très bien avec le reste de l’architecture en bois. Quelques hommes sont entrain de prier et nous ressortons doucement sans bruit. « C’est fou la lumière qu’on a à l’intérieur. C’est chaleureux en comparaison à nos églises plus froides et austères. » Gros gros point positif : des toilettes à chaque mosquée pour faire les ablutions. En temps que touriste dans une grande ville, c’est juste royal.

Prochain point : le parc Alaaddin un peu en hauteur dans la ville dans lequel se trouve une autre mosquée: Alaaddin Keykubad. Encore une fois de la moquette mais les piliers sont en pierre soutenus par des structures en fer : un style bien différent de la précdente. Tout un pans de mur n’est fait que de vitres donnant sur une court intérieure. C’est extrêmement vaste, un genre d’open-space musulman. Ensuite nous filons au Musée de la mosaïque et de la céramique Karatay Medresesi. Pour 2€ par personne, on va pas manquer ça. C’est un petit musée mais le bâtiment tout en mosaïques est bien conservé / restauré. Toujours ce bleu turquoise, bleu foncé et noir comme couleurs dominantes. Quelle lumière. Pour info, ils utilisaient surtout le bleu car c’est le pigment qui tient le mieux à la cuisson. Nous observons des vases peints, des bouts de mosaïques aux personnages loufoques et aux animaux chimériques. C’est tout une culture qui s’ouvre à nous.

Nous continuons par le Kultur Park avec ses fontaines et ses cignes noirs. Nous voulons visiter la grande mosquée mais c’est l’heure de la prière de midi et nous n’osons pas entré de peur de perturber ce moment solennel. Nous faisons donc demi-tour en quête « de quoi se mettre sous la dent ». Dans les ruelles ou au milieu d’une place, des dizaines d’hommes sont en groupe et prient, là, un tapis installé sur le trottoir, au milieu des gens qui passent et qui parlent autour.

On teste la « street food turque » et mangeons des durum de cig kofte, un genre de wrap à base de pâte de lentilles épicés accompagnés de falafels : un régal, même si ça pique fort sur la fin.

Au détour d’un deuxième passage dans le « bazaar », nous achetons du café en grain, qui s’avérera très spécial niveau goût « va falloir trouver le dosage correct car là c’est de la pisse d’âne comme on dit par chez moi ». On en profite pour s’offrir une bonne couette : avec le froid qui arrive là, ça va devenir vital ; et on se prend un thé assis au soleil pour clôturer cette visite de la ville.

15h, nous sommes de retour au camion où notre louloute n’a pas bougé du canapé. De mon côté, je me fais une petite sieste de 20 minutes pour recharger les batteries pendant que Guillaume fait le tour « pipi de Lola ». C’était sans compter sur l’appel à la prière de 15h30 qui me fera écourter mon instant repos du corps.

Histoire de passer le temps, nous nous faisons un jeu de société et mangeons tôt car nous avons rendez-vous avec la représentation des derviches tourneurs à 20h30 à l’Irfa, ouverture de la billetterie à 19h30 : on ne veut surtout pas manquer ça !

La cérémonie va durer une petite heure et nous nous installons à nos places attitrées au premier rang. Les tourneurs entrent en scène par degrés d’expérience et il y a toujours dans le cercle un vieux et un jeune pour que tous les âges puissent être représentés. La musique commence par une introduction au « ney », la flûte traditionnelle puis les danseurs entament une série de salutations mutuelles, vecteur du message d’égalité entre les hommes, de reconnaissance de son voisin et de miroir de soi à travers l’autre (un écran en hauteur nous explique tout ça en anglais). Le « maître de cérémonie », le plus vieux, embrasse un à un les tourneurs et le sema (nom de la danse) peut commencer. Les tourneurs derviches, vêtus d’une longue jupe blanche, se mettent donc à tournoyer sur place, les bras en l’air, une paume vers le ciel et l’autre vers la terre comme vecteur entre Dieu et l’homme. Plusieurs séries de ronde seront réalisées, le tout au son d’un orchestre composé d’instruments de musiques traditionnelles et de six chanteurs qui mènent les tourneurs vers cette transe. C’est très impressionnant à voir. La cérémonie se termine par une prière à Allah, chanté par un seul homme avec une voix merveilleuse, à vous en faire pleurer. « On est chanceux d’avoir pu voir ça. » Quelle immersion dans cette culture par la musique, la danse, les prières et les gens autour présents. Une vraie claque.

Nous retournons au camion rempli de belles vibrations et filons vite vite sous notre nouvelle couette, bien au chaud, avec notre Lola comme office de bouillotte de fond de lit. « Winter is coming. »