Réveil à 8h sans réveil avec un ciel plutôt nuageux aujourd’hui, ce qui ne m’empêche pas de me faire une série d’étirements sur le ponton avec vue sur le lac et les petites araignées d’eau qui flottent à la surface. Guillaume prend tranquillement son petit-déjeuner au camion avec une Lola en mode vigie sur l’herbe. Un matin comme les autres, en somme.
On prend la route pour une heure et demi sur une belle nationale. Pour nous distraire, on s’écoute un podcast « Un bon moment » en fond, avec des invités stand-upeurs queers qui nous font bien rire, et on va en avoir besoin de ce plein de sourire avant la visite de cette après-midi qui nous attend…
Arrivés sur le parking du Neuvième Fort de Kaunas, nous mangeons notre repas de midi pour être bien en forme pour le musée : timing parfait. Une petite promenade à notre louloute qui restera dans le camion et on file au « ticket office ».
L’entrée est de 8€ par personne, ce qui est tout à fait dans nos prix de « divertissement » et commençons la visite par une exposition un peu à-côté du sujet de base du fort : le génocide de Bakhmut. « Bakhmut ?! Ça me parle ce nom… » Et pour cause, c’est l’une des grandes villes ukrainiennes détruites par l’armée russe en 2022. Mais Bakhmut a aussi une bien sombre histoire qui remonte depuis plus de 80 ans en arrière.
Après 22 mois d’occupation nazie pendant la Seconde Guerre Mondiale, on découvre le crime horrible commis par les nazis en 1942 : 1 500 juifs et autres habitants de la ville ont été emprisonnés dans le sous-sol de l’ancien bâtiment du NKVD, la police secrète soviétique. Pendant plusieurs jours, les gens y ont été gardés sans nourriture ni eau, puis ont été abattus ou emmurés vivants dans la mine d’alabaster abandonnée. En raison des conditions de température uniques dans la mine, les corps ont été momifiés, ce qui a permis d’identifier ultérieurement la majorité d’entre eux. Cette exposition est une rétrospective des tragédies passées et présentes à Bakhmut : une image macabre du génocide d’hier et d’aujourd’hui, qui a le même visage, un régime totalitaire avec une idéologie haineuse.
Le cadre est posé et nous allons de performance audiovisuel en clichés photographiques, de vidéos métaphoriques en documentaire brut. On décide de faire nos feignants et surtout on veut tout comprendre dans les moindres lignes donc on utilise Google Traduction, on met nos écouteurs bluetooth et on laisse la voix de Google nous conter les drames. Quelle fatigue mentale en moins et on peut se focaliser uniquement sur l’information et les œuvres autour de nous « pourquoi on faisait pas ça avant ?! »
Déjà une bonne claque émotionnelle qui nous ramène à cette réalité de haine et de mal viscéral, mais ce n’est pas fini. Nous sortons donc de ce grand bâtiment de béton très « soviétique » pour rejoindre le fameux Neuvième Fort. Après toute une partie de l’exposition qui nous raconte l’évolution et la construction du fort et de ses aménagements, partie que nous survolons assez vite, nous montons à l’étage supérieure et, là, la vraie Histoire se révèle à nous.
Nous parcourons les couloirs humides et les gaules glauques dans lesquelles étaient cloîtrés des hommes. En effet, de 1924 à 1940, le Neuvième Fort a servi de prison de travail forcé, enfermant des criminels et prisonniers politiques, notamment les résistants luttant pour l’indépendance de la Lituanie, lors de l’occupation soviétique. Puis la Seconde Guerre Mondiale éclata et les troupes allemandes sont arrivés jusqu’à Kaunas vers 1944.
Ici, c’est joué tout un massacre de juifs et d’autres habitants des pays baltes et d’ailleurs. Plus de 50 000 personnes furent exécutés et enterrés sous nos pieds, notamment 878 déportés juifs français, le Convoi 73, qui furent fusillés dans ce fort. Les inscriptions laissés par les Juifs français et d’autres prisonniers à l’agonie sont encore visibles sur les murs.
Tout un pan de l’Histoire de ce fort est lié également à la fin de la guerre 39-45 avec la destruction, dès 1943, des preuves des crimes perpétrés ici. Un groupe de 64 prisonniers étaient chargés d’exhumer des fosses les corps pour ensuite les incinérer, mission réalisée par « les brûleurs », de manière secrète et sous haute surveillance nazie. Ainsi, près de 12 000 corps furent exhumés et brûlés. Ce groupe de 64 prisonnier a marqué l’Histoire du Neuvième Fort car, contraints d’aider les tueurs à détruire les preuves des exécutions de masse, ils n’avaient aucun espoir de survie, ayant vu trop de choses, et ils ont mis en place leur évasion réussie le 25 Décembre 1943 et ont pu par la suite témoigner des atrocités pratiquées ici.
Nous enchaînons les pièces, allons d’une cellule à une autre où bons nombres d’informations et de photographies sont exposées. Les visages des défunts nous regardent depuis leur portrait en noir et blanc. Une forme de stress latent est palpable chez tous les visiteurs.
Autre pièce, autre drame, et pas des moindres : « la Grande Action ». Dans l’Histoire de la Lituanie, c’est probablement le plus grand massacre organisé sur le territoire en une seule journée : le 29 Octobre 1941, à l’extérieure du fort, 9 200 juifs du ghetto de Kaunas ont été tués : 2 007 hommes, 2 920 femmes et 4 273 enfants. L’horreur des évènements ne peut être saisie par aucune imagination. Clairement, on est un peu assommé par cette histoire, par ces chiffres, par les témoignages et par nos cerveaux qui font le reste de la synthèse chimérique.
La visite intérieure du fort est terminée et c’est avec joie que nous retrouve l’extérieur pour prendre une bouffée d’air et voir la lumière du jour ; c’est qu’il commençait à faire vraiment froid dedans, à la fois mentalement et physiquement, il faut croire.
Nous marchons quelques minutes pour rejoindre l’impressionnant monument de 32 mètres de haut, hommage aux 50 000 tués, ici. La sculpture est vertigineuse, elle représente d’un côté, la souffrance, puis l’espoir et enfin la libération, par un triptyque d’enchevêtrements de personnes anguleuses qui tombent, se soutiennent ou lèvent le point. « Waou ! »
Une visite qui nous a clairement épuisée émotionnellement mais quelle Histoire !
Nous n’avons pas beaucoup de route, et c’est tant mieux, pour rejoindre notre point dodo en périphérie de la ville. Un arrêt remplissage d’eau à une station essence, Circle K (les préférées de Guillaume car wifi gratuite) et on va se poser en bord de rivière, pile avant que la pluie se mette à tomber : les larmes des nuages, un peu comme pour accompagner cette fin de journée cendrée.
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